Bye-bye les affiches sexistes!

Ces derniers temps, j’ai suivi avec intérêt, passion et engagement la progression des mesures pour l’interdiction de la publicité sexiste dans le domaine de l’affichage. Les dispositions cantonales sont entrées en vigueur en début d’année dans le canton de Vaud, pionnier en la matière. Au mois d’août, le Grand Conseil neuchâtelois a mandaté le Conseil d’Etat pour étudier les possibilités de légiférer. Dans la foulée, une motion allant dans ce sens a été déposée récemment à Berne. La communication et la publicité, c’est mon métier. Pourtant, au moment de voter, je n’ai pas hésité une seconde à me prononcer en faveur de l’interdiction. Pourquoi? Explications et plaidoyer pour une réglementation stricte anti-sexisme.

Chapitre 1: Flashback et ouverture de la boîte de Pandore

Je suis née dans les seventies. Une époque où les imageries sexistes fusaient de partout. Petites filles, nous avions à peine appris à marcher qu’on nous faisait déjà «rêver» avec une poupée stéréotypée et hypersexualisée appelée Barbie, avec des pieds de plastique moulés qui ne pouvaient être chaussés que de talons hauts. Elle était condamnée à marcher sur la pointe des pieds… Même Barbie Aerobic. Et puis, comment ne pas se souvenir de ce raz-de-marée d’affichage en 1981 avec la campagne de «teasing», dédiée justement à démontrer le pouvoir de l’affiche, par la promesse de cette jeune fille qui annonçait par monts et par vaux, «demain, j’enlève le haut», la campagne aguicheuse par excellence. Promesse habilement tenue, aussi pour «le bas», flattant des instincts que l’on pourrait qualifier de bas!

Dix ans plus tard, ô merveille sexiste de derrière les fagots, une marque de voiture explorait le style hétéro-beauf avec le slogan «Il a l’argent. Il a le pouvoir. Il a l’audi. Il aura la femme.» Et nous, nous avons le dégoût…

Enfin, en apothéose du genre, dans les années 2000, nous avons eu le privilège d’être submergés par la vague violente du «porno chic», mettant en scène des mannequins dénudés dans des postures avilissantes pour promouvoir des marques de vêtements ou de parfums.

Ce ne sont que quelques exemples choisis. Car nous avons eu le temps d’en voir passer, des imageries issues du sexisme ordinaire, stéréotypées et dégradantes. Au cours de nos jeunes années, puisque c’était présenté comme la normalité, on n’avait pas vraiment remarqué. C’était culturel, intégré, assimilé. Ménagère sexy tu seras, comme la maman dans Boule et Bill.

Ou pas. Finalement, mon esprit critique – plutôt aiguisé – s’est réveillé en cours de route.

Chapitre 2 : est-ce bien raisonnable «d’interdire» ?

Pour certains, la simple idée d’interdire fait frémir. Pourtant, je n’ai pas entendu autre chose qu’une argumentation pseudo-libérale et dogmatique pour contrer la réglementation de l’affichage. Inventaire.

Pourquoi en faire tout un plat? Parce que, et c’est bien là toute la profondeur de la problématique – les motionnaires neuchâtelois Socialiste-PopVert l’ont bien relevé – il est exact que nous sommes profondément et inconsciemment marqués par les représentations de la société qui nous sont présentées, et ce dès notre plus jeune âge. Les images dont on nous abreuve à coups d’espaces publicitaires ciblés (et dont le but est de nous influencer) façonnent les perceptions. Il en va de notre responsabilité sociétale que d’agir à la source.  

Mais alors, faut-il aussi interdire la musique ou les œuvres d’art sexistes? La comparaison ne tient pas. Je suis bien placée pour le rappeler: la finalité avouée de toute publicité est non seulement de maximiser l’impact des images véhiculées mais aussi d’influencer les comportements. Ceci sur un emplacement spécifiquement acheté afin d’atteindre une cible définie. Le principe étant valable tant pour une activité commerciale que pour une campagne publique de prévention ou la promotion d’une ONG. C’est précisément en cela que la publicité se différencie de l’art: elle n’existe pas en dehors de ces objectifs qui en sont à la fois l’essence et le moteur.

Pourquoi réglementer l’affichage et pas les autres formes de publicité? D’abord parce que ce support publicitaire, contrairement à tous les autres, est du ressort des cantons. Parce que l’affichage s’appuie sur le domaine PUBLIC, appartenant aux citoyens. Et parce que son caractère territorial rend particulièrement concrète l’application d’une réglementation, contrairement aux diffusions publicitaires par les médias et les GAFAM.

Comment juger de ce qui est sexiste ou non? «Toute communication commerciale qui discrimine l’un des deux sexes en portant atteinte à sa dignité est déloyale»Une liste de critères précis (règle B.8) a été établie par la Commission suisse pour la loyauté, une institution paritaire, neutre et indépendante qui a été créée par la branche (en 1966 déjà!) pour but de garantir l’autocontrôle en matière de publicité. Le législateur s’appuie sur ce texte.

Puisque cette commission qui fixe des règles éthiques en matière de communication commerciale est active au niveau suisse, pourquoi légiférer? Parce que cela fait plus d’un demi-siècle qu’elle existe et que, même si Barbie porte aujourd’hui des baskets, les publicités sexistes, elles, continuent à proliférer en toute impunité. La preuve, c’est que le sexisme reste le premier motif de plainte auprès de la Commission pour la loyauté.

Des faits, rien que des faits. C’est le moment d’inverser la question: est-ce bien raisonnable «de NE PAS interdire»?

Chapitre 3 : hier et aujourd’hui

De tout temps, la publicité a été mal perçue et mal aimée. En raison de sa nature intrusive, mais aussi en raison de toutes les dérives écœurantes dont le public a été gratifié depuis des décennies. Pour calmer le jeu, la branche s’est dotée précocement de principes éthiques… non contraignants!

Dommage, les publicitaires font figure de mauvais joueurs. Sous quel prétexte peut-on refuser de mettre hors-la-loi les clichés nauséabonds qui ternissent l’image de la profession? Est-ce à dire que les professionnels de la pub n’ont pas assez d’idées créatives pour communiquer de manière percutante sans utiliser des stéréotypes rances? Ce n’est évidemment pas le cas. Il n’y a aucun prétexte crédible pour une agence, entreprise ou organisation de vouloir se soustraire à une ligne de conduite stricte, qui a largement démontré sa nécessité.

Enfin, cette idée de réglementer la publicité est-elle un phénomène de mode, anachronique et «militant»? Absolument pas!

J’en veux pour preuve les propos d’un homme que le monde de la publicité considère comme un génie visionnaire, le célèbre publicitaire David Ogilvy, qui répondait en 1964 à un journaliste sur la question de savoir qui doit prendre l’initiative de réformer la publicité: «J’aimerais bien que ce soit nous, publicitaires. Mais nous ne le faisons pas. Alors, au gouvernement de faire le pas – et de nous protéger contre nous-mêmes.»

Tout est dit. Plus d’un demi-siècle plus tard, il n’est plus l’heure de se donner de fausses excuses. On ne va pas attendre plus longtemps que ça fonctionne tout seul. Transformons la société par la moelle épinière. Allons de l’avant.

On aura tout vu…

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