Au milieu d’une véritable jungle d’objets dits B (propositions émanant des député-e-s) que le Grand Conseil s’escrime à défricher, s’est trouvée une motion UDC 22.142 «Pour une langue vivante qui appartient à ceux qui la pratiquent». Un objet insolite contre l’adaptation des manuels scolaires selon les nouvelles règles de la langue française, faite de bric et de broc, tournée de manière à flatter les conservateurs tout en faisant rêver les progressistes. Autant dire une utopie démagogique, qui a d’ailleurs été largement refusée par le Grand Conseil. Voici mon intervention au nom du groupe Vert’libéraux-Le Centre; si je me rallie au pragmatisme, on peut m’accuser de toutes sortes de choses… mais certainement pas de ne pas aimer la langue française.
C’est le drame d’une histoire d’amitié impossible dont nous parlons aujourd’hui. C’est la longue guerre fratricide, au fil des siècles, de deux sœurs malheureuses, que l’on tente encore et encore de réconcilier. En vain.
Il faut se faire une raison ; la langue orale, vivante, fluctuante, insaisissable n’a jamais été l’amie de l’orthographe écrite, rigide, sévère et normative.
L’orthographe, précisément créée au XVIIe siècle pour mettre la langue sous tutelle et pour empêcher son traitement écrit phonétique qui prévalait au Moyen Âge, n’a, dans les faits, jamais eu raison de la puissance et de la vivacité de la langue.
La situation est complexe. Car dans le sérail des prescripteurs de l’orthographe, il n’y a pas que les deux grandes familles rivales et virulentes des conservateurs et des progressistes. Entre ces deux camps, il y a les usages, la pratique, la spontanéité, la recherche d’inclusion, les innovations et il y a surtout nos écoles et nos enfants qui ne peuvent en aucun cas être les otages de cette querelle insensée et sans issue.
Cet équilibrisme malsain se reflète d’ailleurs dans la formulation fallacieuse et racoleuse de cette motion: elle est tournée de manière à flatter les conservateurs, farouches opposants à la réforme de l’orthographe, tout en faisant rêver les progressistes, défenseurs d’une «langue vivante»…
La bataille de la légitimité
Non, Mesdames et Messieurs, ne nous laissons pas jeter de la poudre aux yeux. Ne nous engouffrons pas dans cette guerre d’érudits qui nous mènerait à une «consultation générale», pire qu’une usine à gaz, une usine à soufre, qui commencerait par la bataille de la «légitimité» entre les différents milieux pressentis, pour savoir qui, du professeur, du didacticien, de l’écrivain, du linguiste ou du cuistre à la petite semaine, serait le plus légitime à imposer son avis!
Voilà bien un sujet où chacun s’épanche volontiers. Que l’on soit motivé par ses connaissances dans les sciences du langage, par ses idéaux ou simplement par l’attachement viscéral aux règles que l’on a soi-même apprises, il y a autant de visions divergentes et de positions tranchées que d’amoureux inconditionnels de la belle langue de Molière.
L’atermoiement consultatif n’est pas une solution ; ce sont de fausses promesses que de laisser entendre que nous réconcilierons à coup d’ateliers participatifs nos deux sœurs ennemies, qui dans les faits, continueront à cohabiter sans partager ni leurs vies, ni leurs règles de vie.
Dans cette approche réaliste, il nous apparaît que la décision de la Conférence intercantonale de l’instruction publique est un compromis moderne et acceptable, qui fait la part des choses entre l’évolutionnisme compulsif et la résistance au changement primaire.
Nous ne céderons ni aux sirènes de l’élitisme, ni aux démons de la démagogie bon marché ; nous suivrons la position pragmatique du Conseil d’Etat et refuserons cette motion à l’unanimité.
Motion UDC 22.142 «Pour une langue vivante qui appartient à ceux qui la pratiquent»

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